vendredi 11 mars 2016

Le Ministère de la Justice signe pour une communication publique sans stéréotype de sexe


Au Ministère de la Justice avec J-J. Uvoas, Ministre de la Justice et Danielle Bousquet, présidente du HCEfh

Une journée de sensibilisation et d'engagement en faveur de l'égalité femmes.hommes s'est tenue ce 8 mars 2016 au Ministère de la Justice.

A cette occasion, en tant que membre associée du Haut Conseil à l’Égalité et rapporteure du Guide pratique de la communication sans stéréotype de sexe, le garde des Sceaux et Ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas, m'a invitée à présenter ce travail.

Une convention d'engagement du guide pratique a été signée par le Ministre et Danielle Bousquet, présidente du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes. Cette signature fait de la Chancellerie, le premier ministère signataire de cette convention.

A cette occasion, plus de 40 femmes ayant des parcours professionnels emblématiques dans les domaines de la justice et du droit étaient présentes : magistrates, bâtonnières, présidentes de DGI, avocates, procureures...

Mon discours : 

Monsieur Le Ministre,
Madame la Présidente du Haut Conseil à l’Égalité femmes.hommes,
Madame la Haute fonctionnaire à l’égalité, Inspectrice Générale Adjointe
Mesdames, Messieurs,

C’est avec un plaisir particulier que je m’adresse à vous en ce 8 mars : Journée internationale des droits des femmes. Je tiens avant tout à vous remercier, Monsieur le Ministre, de votre invitation. En inscrivant la signature de la convention pour une communication publique non-stéréotypée, à l’ordre du jour de votre Ministère, vous devenez le premier Ministère à vous engager en ce sens.

Il y a quelques instants, avec Mme Lebon-Blanchard, nous participions à l’installation par le Président de la République du Haut Conseil à l’Égalité femmes.hommes dans sa deuxième version. Le jour même, le Ministère de la Justice, à votre initiative, engage cette convention. Nous ne sommes plus seulement dans le symbole du 8 mars, cet acte traduit un véritable engagement.

Un engagement à plusieurs niveaux avec ce guide.

Ce guide fait suite à une saisine du Ministère des Droits Des Femmes et au rapport du Haut Conseil à l’Égalité femmes.hommes sur « la lutte contre les stéréotypes de sexe ». Il est le résultat de nombreuses auditions, rencontres et recherches documentées, en France comme à l'étranger. Il a été élaboré par des chercheurs linguistes, des expertes, des élu.e.s et des associations d’élu.e.s, des praticien.ne.s des collectivités, des associations et organisations syndicales.

Pourquoi aujourd’hui venir réinterroger le langage et les images en considérant qu’ils sont vecteurs de lourds stéréotypes sexistes ? Sur le front des droits des femmes on pourrait penser qu’il existe des questions plus prioritaires, comme le plafond de verre, l’égalité de salaire ou encore la lutte contre les violences.

La langue est politique. Elle est le reflet de notre société, de nos choix. Elle traduit nos valeurs, ce que nous sommes et ce que nous voulons être. Elle illustre notre vivre-ensemble. Une langue qui rend invisible les femmes serait la traduction d’une société où les femmes seraient secondaires. Rendre visibles les femmes dans la langue en usant de nouveau du féminin pour nommer notre quotidien, c’est le sens de ce Guide pour une communication non stéréotypée. Il vient interroger les stéréotypes de sexe persistants.

Je voudrais d’emblée rappeler que ce guide n’est pas un prêt-à-penser, mais constitue une démarche à part entière afin de tendre vers l’égalité. La mise en œuvre des 10 engagements relève d’une démarche, de débats, d’une appropriation par votre Ministère au rythme que vous déciderez. J’ai appris que 9 engagements parmi les 10 allaient de soi. Si l’un d’entre eux fait débat, ceci est tout à fait normal. Notre langue est le produit d’une histoire et d’habitudes, les déconstruire nécessite un effort commun.

Pourquoi nommer les noms de métiers, titres grades et fonctions en lien avec le sexe des personnes qui les occupent ?

Cela a été le cas durant de nombreux siècles. Depuis le Moyen-Age et jusqu’au 17eme siècle, l’usage du féminin dans le vocabulaire comme dans la grammaire a été la norme. On disait le médecin.la médecine ; le Préfet.la Préfète, le charpentier.la charpentière, … En proposant de retrouver l’usage du féminin on ne change pas la langue, on n’invente pas de nouveaux mots, on propose d’utiliser des termes déjà existants dans la langue française. Dire Mme la Magistrate, Mme la Procureure, mon avocate, Mme la Bâtonnière,… revient à s’exprimer en français.

Puis au 17ème, un membre de l’Académie Française Claude Favre de Vaugelas déclare que le masculin doit l’emporter sur le féminin, au motif que le « masculin est plus noble que le féminin ». Suivi un siècle plus tard par un professeur, M. Beauzée, qui précise « le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle ». Puis en 1882, l’État tranche en faveur du masculin lorsqu’il rend l’instruction publique obligatoire. C’est alors que des mots disparaissent, notamment des noms de métiers au féminin, surtout dans les fonctions prestigieuses. Médecine disparait mais pas pâtissière, ménagère, lingère, ou cuisinière…

La langue est donc le résultat d’un choix politique, d’une volonté politique qui correspond à une époque où les femmes devaient être invisibles. Utiliser ces féminins permet de rendre visible les femmes, de rappeler qu’elles peuvent occuper aujourd’hui l’ensemble des métiers, qu’elles ont investi les lieux de pouvoir dits « réservés aux hommes ».

C’est le sens également de la recommandation du guide de supprimer un certain nombre d’expressions telles que mademoiselle, nom de jeune fille, nom patronymique, nom d’épouse et d’époux, « en bon père de famille ». D’abord parce qu’une circulaire de 2012 a déjà banni du droit cet usage dans les formulaires et correspondances des administrations. Pour ne reprendre que le terme de nom de jeune fille, il a été introduit à une époque où les filles devaient demander l’autorisation de leur père pour se marier.

Le Guide propose d’autres usages pour rendre visibles les femmes dans la langue française, utiliser l’ordre alphabétique des mots pour nommer le masculin et le féminin, présenter intégralement l’identité des femmes et des hommes avec leurs noms et prénoms, … et former les professionnel.le.s à cet usage du féminin dans la langue. Ne peut que vous y encourager.

Les mots ont un sens. Ils sont le reflet de nos représentations, ils véhiculent les stéréotypes, ils entretiennent les inégalités. Nommer les femmes, les rendre visibles dans la sphère publique comme privée ne relève pas de l’anecdote. C’est le cœur même de l’enjeu d’égalité de droits entre les femmes et les hommes. C’est de même nature que la lutte contre les violences à l’encontre des femmes. Dans les processus de violences psychologiques, physiques et sexuelles, les mots jouent un rôle. Ils peuvent être violents. La première violence est de nier les femmes, de les rendre invisibles.

Se nommer au féminin, exister aux yeux de tous, c’est refuser une société où les femmes auraient un second rôle. Nous ne sommes pas des secondes, nous sommes des égales. Usons du féminin.

Enfin, Monsieur le Ministre, je ne pourrais conclure sans évoquer une femme de Bretagne. Dans quelques heures, lorsque je serai rentrée en Bretagne, dans notre Finistère, à Brest, je vais participer à l’inauguration d’une exposition, dans le cadre du 8 mars, qui est consacrée à une figure brestoise, Nathalie Lemel, une féministe, communarde, compagne de Louise Michel. Actuellement une bande dessinée retrace son histoire de femme engagée à l’époque de La Commune. Je voudrais vous livrer une expression de sa compagnonne de route, Louise Michel qui à l’occasion d’une plaidoirie avait déclaré : « Sans l’autorité d’un seul, il y aurait la lumière, il y aurait la vérité, il y aurait la justice. L’autorité d’un seul, c’est un crime. » Je vous laisse à cette méditation.

                                                                                           

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