lundi 4 janvier 2016

L'égalité f.h dans la langue française : ma tribune parue dans l'Humanité du 30 décembre

D'abord, il y eut la fronde contre les ABCD de l'égalité. Puis cette montée des conservatismes contre l'abolition de la prostitution lorsqu'une loi fut annoncée (toujours pas adoptée). Souvenez-vous aussi de ces députés qui ne supportèrent pas le titre de « Présidente » à une députée, ou ces caquètements qui déshonorèrent l'Assemblée. Un signe des temps ? Une histoire qui ne change pas ?

On peut aussi y voir le résultat d'une égalité de droit entre les femmes et les hommes qui se met en œuvre. Depuis 2012 des actes sont posés, des lois sont adoptées, celle du 4 août sur l'égalité réelle, première loi globale pour les droits des femmes. D'autres sont en cours d'adoption, celle pour l'abolition de la prostitution. Des sanctions sont prononcées contre les entreprises ne respectant pas les lois sur l'égalité professionnelle. Des actes en appelant bien d'autres.

Des actes qui révèlent l'ampleur des résistances et des conservatismes sur le chemin de l'égalité. Les avancées conquises en matière d'égalité de droit entre les femmes et les hommes s'accompagnent toujours d'une montée des extrémismes, d'attaques violentes envers les femmes, de postures patriarcales refusant le droit aux femmes d'être les égales des hommes. Juste parce qu'elles sont femmes.

La publication par le Haut Conseil à l'Égalité entre les Femmes et les Hommes de son Guide pratique pour une communication publique sans stéréotypes de sexe n'échappe pas à l'attaque. Le mécanisme est toujours le même : faire appel aux ressorts du populisme, sous couvert de l'humour.


La chronique de François Taillandier parue dans l'Humanité du 10 décembre, en pages culture (!), s'inscrit dans ce populisme d'un autre temps, incapable de voir les exigences d'aujourd'hui, flattant les réflexes sectaires de notre société en jouant sur les peurs et les divisions.
Il n'hésite pas à entretenir l'idée du « tous pourris », laissant sous-entendre que les membres du Haut Conseil seraient rémunérés. S'il avait fait son travail il saurait que nous sommes toutes et tous des bénévoles, pas d'appointements, pas de jetons de présence.

Il n'hésite pas à affirmer que l'usage du féminin dans la langue française n'est pas le sujet. Tout en prenant la précaution de dire que l'égalité femmes.hommes c'est important. Et pour quand ? Dans cent ans ? Il y a toujours plus urgent que l'égalité femmes.hommes, c'est pour cela que nous sommes encore à nous mobiliser pour la faire avancer. C'est l'argument des conservateurs et des populistes. Restez chez vous, il n'y a rien à voir. C'est aussi l'argument de l'extrême-droite vis-à-vis des femmes, quand elle prône leur retour à la maison, le versement d'un salaire maternel ou encore la suppression des financements au planning familial comme la campagne des élections régionales vient de le rappeler.

Troisième argument, il n'hésite pas à user d'une forme d'humour pour faire passer son message. Ah l'humour, que n'a-t-on dit sous couvert de l'humour. J'aime rire. J'aime rire avec les autres. La meilleure plaisanterie, c'est celle où tout le monde rit, ensemble. Mais sous couvert d'humour, on fait aussi passer les messages les plus racistes, les plus homophobes et les plus sexistes.

Enfin, le journal d'extrême-droite Minute publiait un article après la sortie du « rapport visant à lutter contre les stéréotypes de sexe », avec ces mots : « Au secours, ils sont vraiment devenus cinglés, … Il y a des gens qui passent leurs journées payés sur nos impôts, …. leur laver le cerveau. » Toute similitude avec la chronique de Monsieur Taillandier serait pur hasard...

Mais point d'étonnement à cette chronique, quand on sait que ce Monsieur s'est déjà illustré dans son mépris pour les femmes, en signant le manifeste des 343 salauds dans Causeur, faisant l'apologie de la prostitution.
En publiant cette chronique, le journal l'Humanité s'est mis hors sujet, à 2 jours du second tour des régionales, s'inscrivant dans les pas du journal de TF1, de Marianne et du Figaro, sur le même propos.

Bref, revenons au sens.

Le sujet est encore l'égalité entre les femmes et les hommes. Dans notre contexte de crise, de montée des intégrismes, d'ancrage des populismes et des extrémismes dans notre société, une des réponses à ces graves bouleversements reste la mise en œuvre de l'Égalité. Non, tout n'a pas encore été essayé. Si on tentait vraiment l'égalité de droit femmes.hommes ? Comme une réponse humaniste au vivre ensemble, comme un levier de transformation de la société, comme un renouveau démocratique, comme un moyen de relancer le développement humain?
En matière d'égalité de droits entre les femmes et les hommes, il n'y a pas de petite ou de grande question. L’ensemble des champs des inégalités doit être appréhendé. Le domaine de la langue et du langage est un sujet central. Les mots ont un sens. Ils sont le reflet de nos représentations, ils contribuent à véhiculer les stéréotypes, à reproduire les inégalités. Ils peuvent être violents. Ils ont rendu les femmes invisibles dans l'ensemble des domaines de la vie. Les ont cantonnées aux secteurs qui leurs seraient « réservés » : éducation, enfance, entretien, santé, …

Rendre égales les femmes dans la langue française pourrait relever de l'anecdote si les inégalités n'étaient pas aussi fortes et criantes. Lorsqu'un député en séance refuse de dire Mme la Présidente à une député.e, ceci n'est pas un détail. Tout est lié, la domination du masculin dans le langage renvoie à la domination d'un sexe sur l'autre dans tous les autres domaines. C'est ainsi qu'est toléré le sexisme ambiant, « c'est de l'humour », « ce n'est pas si grave ». Ce serait drôle si cela ne relevait pas d'un sexisme assumé, qui va de la violence psychologique à la violence physique, celle qui fait qu'encore en 2015 une femme tous les 3 jours décède des violences à son encontre. User du féminin dans la langue française constitue donc un axe parmi d'autres, un axe important.

Si la langue cristallise les inégalités faites aux femmes, elle est aussi source de levier pour tendre vers l'égalité. C'est le sens de ce Guide pratique pour une communication sans stéréotype de sexe. S'appuyer sur ce qui permet d'avancer sans céder aux facilités de pensées.


Gaëlle ABILY
Adjointe au Maire de Brest à la Culture
Membre du Haut Conseil à 'Égalité femmes.hommes
Rapporteure du Guide pratique pour une communication sans stéréotype de sexe


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