"On peut être né à l'étranger et être français"
J’ai le plaisir de vous accueillir ce soir pour la remise
officielle à la Ville de Brest de l’Encyclopédie des migrants. Quelques jours après la remise à la ville de Rennes, c’est au
tour de Brest de vous accueillir, dans un périple qui va vous conduire de Brest
à Gilbratar, réunissant 8 villes de la façade atlantique, Nantes, Gijon, Porto,
Lisbonne, Cadix.
Votre projet, coordonné par l’association l’âge de la Tortue,
s’inscrit dans une démarche artistique et culturelle, initiée par la metteure en
scène et autrice de projets interdisciplinaires Paloma Fernandez Sobrino. Le
choix de cette approche artistique est profondément juste, tant elle permet de
rappeler à la fois le sens de ces migrations, la diversité des raisons qui ont
conduit ces femmes et ces hommes à tenter l’ailleurs ; ainsi que de
traiter de l’approche intime, sensible de ces migrations. Le sens et le
sensible, permettent par l’approche artistique de rappeler toute l’humanité qui
est contenue dans ces parcours de vies.
Votre choix de réunir ces paroles intimes sous la forme d’une
Encyclopédie, en référence aux savoirs légitimes et universels de
l’Encyclopédie des Lumières, vient aussi reconnaître comme un savoir ces témoignages
de vies, donnant sens et traduction à l’enjeu de la reconnaissance des droits
culturels des personnes. Reconnaître la légitimité de toutes les cultures, les
rassembler dans leur diversité, va de pair avec l’affirmation de la dignité
humaine, c’est tout le sens et l’importance de votre travail.
Cette Encyclopédie réunit 400 témoignages de migrants et
migrantes, collectés entre Brest et Gibraltar. La Ville de Brest s’est investie
depuis 2015 en partenariat avec l’ABAAFE, l’Association Brestoise pour l’Alphabétisation
et l’Apprentissage du Français pour les Etrangers, dans ce projet européen. 3
années de rencontres, de collectes, de recherches et de fabrication auront été
nécessaires pour créer cette œuvre. A Brest, ce sont 50 migrant.e.s qui ont
apporté leur témoignage, issu.e.s de tous les quartiers de la ville. Ils et
elles sont originaires de 38 pays, en provenance de 4 continents.
Je tiens à saluer particulièrement le travail important mené
par l’Abaafe et sa directrice, Armelle Kermorgant, avec Marie-Lise Martin,
Sarah Moune ainsi que les 2 photographes associés au projet, Nicolas
Hergoualc’h et Vincent Gouriou. L’Abaafe mène depuis de nombreuses années un
travail essentiel pour l’accueil et l’accompagnement des migrant.e.s, avec le
soutien de la Ville.
A la lecture de ces textes, il est frappant de constater qu’au
point de départ de toute migration il y a d’abord un abandon. Selon les coins
du monde on ne migre pas toujours pour les mêmes raisons. Quelle qu’en soit la
nature, fuir la guerre ou rejoindre de la famille, sauver sa peau ou venir
étudier, travailler, celles et ceux qui partent gardent la trace de cette
rupture toute leur vie. On entend ce chant dans vos écrits. Parfois comme une
douleur, parfois comme une renaissance. La plupart du temps comme une richesse
qui vous a poussé hors de vous-même pour vivre et exister à l’inconnu. Il faut
toujours des raisons profondes pour risquer un tel départ.
A la lecture de vos témoignages, de cette mémoire des
migrations vous nous révélez ce que vous êtes, une part intime de ce que vous
avez vécu, vous nous parlez de votre histoire et de votre culture d’origine. Vous
nous parlez aussi de nous, des brestoises et des brestois. Vous posez votre
regard sur notre ville, nous interrogeant sur nous-même, nous apportant vos
étonnements et vos idées. Ainsi, reviennent dans chacun des témoignages, la
langue à la fois obstacle et source d’intégration et de partage, la mer
qui attire et rassure, le climat brestois, 1er choc partagé
par tous et toutes visiblement, et ce qui nous réunit tous l’art culinaire,
les crêpes en tête, le Kig Ha Farz et les fruits de mer. Le partage, la
rencontre et l’accueil de l’autre autour du repas reste donc le premier geste
d’humanité.
Vos paroles constituent la plus belle des réponses à tous
ceux qui tentent encore de laisser penser que l’intégration serait impossible
et l’immigration source de tous les maux. L’espèce humaine a survécut jusqu’à
aujourd’hui, parce qu’elle s’est constamment mêlée, renouvelée, mélangée. Notre
histoire récente est faite d’accueil des italien.ne.s, des espagnol.e.s, des
polonais.e.s, des maghrébin.e.s, des africain.e.s, … et de partage. « Des
étrangers et nos frères pourtant » comme le rappelait Manoukian dans l’Affiche
rouge, oui la France est un pays d’immigration et d’intégration des immigré.e.s
et de leurs enfants. Vous nous rappelez tout simplement qu’on peut être né à
l’étranger et être français.
Notre ville est fière d’avoir participé à ce travail et de
rester fidèle à sa tradition d’accueil de l’Autre venu d’ailleurs. Nous sommes
toutes et tous construits de rencontres et de métissages. Brest est une ville-port,
qui a toujours connu les arrivées et les départs de personnes étrangères. Cette
année la Ville de Brest commémore l’arrivée des troupes américaines lors de la
première guerre mondiale, en 1917. En l’espace de 2 ans ce sont 800 000
soldats américains qui sont entrés en France par Brest en 1917 et environ 1,2
millions qui ont réembarqués de Brest en 1919 pour rentrer aux Etats-unis. A
l’époque la ville comptait 60 000 habitants, il aura fallu accueillir au
même moment jusqu’à 80 000 américains, soit une seconde population. En
1916 ce sont les Russes puis les Portugais que Brest avait accueillis, ainsi
que des troupes issues des colonies, soit pour aller au front, soit pour servir
de main-d’œuvre à l’arsenal. Puis lors de la seconde guerre mondiale, ce sont
les brestois qui ont dû quitter leur ville et être hébergés et accueillis par
d’autres, ailleurs. Lors de la reconstruction Brest a fait appel à de la
main-d’œuvre étrangère pour rebâtir. Brest est devenue Brest, enrichie de ces
mouvements de populations.
C’est cette tradition d’accueil qu’incarne encore notre ville, au travers de la solidarité de chacun des acteurs du territoire en
matière d’accueil des demandeurs d’asile. Si la compétence en revient à l’Etat,
ici associations, institutions et collectivités publiques travaillent ensemble
pour apporter des réponses aux demandeurs d’asile. Hébergement, aide
alimentaire, cours de langue, santé et scolarisation des enfants, la ville de
Brest s’inscrit dans le soutien aux associations et aux bénévoles qui donnent
sans compter pour offrir les meilleures conditions d’accueil.
On sait aussi que cela ne va pas de soi pour tous. Des
tensions sont attisées. Des haines exhumées, décomplexées. Achille Mbembe, historien
et philosophe nous rappelle que « le propre de l’humanité c’est que nous
sommes appelés à vivre exposés les uns aux autres et non enfermés dans des
cultures et des identités. » Prôner le repli sur soi et la peur de
l’autre, n’a pas de sens. Construire des murs, ériger des barrières entre les
peuples s’il relève d’un projet politique actuel s’inscrit dans une pensée
archaïque, héritière des pires conservatismes et vectrice de peur et
d’instrumentalisation. Préférer le culte de la différence à la mise en commun,
pointer les ennemis plutôt que tisser des solidarités, exclure plutôt que de
rassembler, tel est le risque d’aujourd’hui. Désormais on le sait, désormais on
le vit.
Mesdames, Messieurs, cher.e.s ami.e.s, la Ville de Brest
s’enrichi donc de votre travail, de vos recherches et de vos témoignages.
L’Encyclopédie des migrant.e.s prendra place dans la toute nouvelle réserve
patrimoniale de la Médiathèque F. Mitterrand des Capucins. Nous aurons à cœur
de la faire partager par le plus grand nombre, en l’exposant ici près des
réserves, comme dans l’ensemble des quartiers de la ville, où de nombreuses
animations sont prévues jusqu’à l’été.
Notre ville s’inscrit dans cet héritage des Lumières, 1ère
cible des tenants des replis identitaires, et ses valeurs universelles de solidarité,
d’humanité, de dignité. Notre ville ne renonce pas à ce qui fonde la
République, aux valeurs de Liberté, d’Egalité et de Fraternité, à la laïcité,
pour mieux les renouveler afin qu’elle puisse répondre aux défis qui nous sont
posés.
Parmi les grands défis de notre époque, à Brest ou dans le
monde, il en reste 2 qui sont à la source de toutes les tensions, comme nous le
rappelle JMG Le Clézio. « L'alphabétisation et la lutte contre la famine
sont liées, étroitement interdépendantes. L'une ne saurait réussir sans
l'autre. Toutes deux demandent – exigent aujourd'hui notre action. Que dans ce
troisième millénaire qui vient de commencer, sur notre terre commune, aucun
enfant, quel que soit son sexe, sa langue ou sa religion, ne soit abandonné à
la faim ou à l'ignorance, laissé à l'écart du festin. Cet enfant porte en lui
l'avenir de notre race humaine. »
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