A l'occasion du Séminaire international « Regards croisés sur la conception des politiques égalitaires » je me suis rendue en Algérie du 26 au 30 mai pour partager l'expérience de la Région Bretagne avec les élues locales
Région Bretagne, l'enseignement de 10
ans de politique égalité f/h
Le Conseil Régional de Bretagne s'est engagé depuis 2004 dans une politique d'égalité
des droits entre les femmes et les hommes. Tout l'enjeu d'une telle politique
est de couvrir l'ensemble du champ sociétal et de s’adresser autant aux
hommes qu'aux femmes. L'égalité constitue un formidable levier d'action immédiate. Chacun·e peut se saisir, dans ses politiques, de la mise en œuvre
de l'égalité au quotidien. Après plus de 10 ans de politique publique
égalitaire, nous avons tiré quelques enseignements sur sa mise en œuvre réelle.
La volonté politique est le moteur et la condition inaliénable
de l’égalité f/h. Au niveau d’une région, obtenir le soutien de l'exécutif
régional et du Président de Région est indispensable pour engager les
transformations nécessaires à l'égalité. Depuis la loi du 4 août 2014, l’État
définit cette politique comme incontournable pour les collectivités
territoriales. Il ne s'agit plus d'une option, mais d'un droit à appliquer.
La politique d'égalité entre les femmes et les hommes se situe au cœur des politiques de développement. Une société émancipée est une société où l'on reconnaît aux femmes et aux hommes les mêmes droits. Penser le développement d'une région ne peut se poursuivre en ignorant la moitié de sa population. Il implique de réinventer la place des femmes à droits égaux dans l'espace public, dans l'emploi, les transports, la formation, etc.
Agir en matière d'égalité nous amène en permanence à nous appuyer sur les expertises, recherches et nombreuses études sur le genre. Il ne s'agit pas ici de se justifier, tant nous tenons notre légitimité du suffrage universel, des droits acquis et des lois votées, fruits de mobilisations féministes. Pour agir, il convient de se baser sur l’état actuel des inégalités.
Faire face aux résistances
Or,
les résistances pour reconnaître la
place des femmes à égalité de celle des hommes restent très fortes dans toutes
les sphères de la société. Ces résistances sont les mêmes de par le monde. Les
femmes, bien que parties prenantes dans le développement de nos sociétés, restent
fortement discriminées en Algérie, en France et ailleurs sur la planète. D’où
l’importance, pour les élues que nous sommes, d’échanger et de partager nos
expériences lors de temps forts comme celui-ci. Être élu·e, c’est aussi agir en faveur du partage du pouvoir
entre femmes et hommes.
Agir pour l'égalité, c'est rappeler que les droits des femmes ne relèvent ni
d'une opinion, ni d'une option. Il ne s'agit pas d'être pour ou contre. Nous
parlons ici de droits inscrits dans les
compétences régaliennes des collectivités, au même titre que la politique
des transports, de l'urbanisme, du sport, de la culture ou du développement
économique.
Se donner les moyens d’agir
Sur
cette base, un budget spécifique et transversal a été adopté et des moyens
humains engagés. La
Région Bretagne a ainsi pu développer une politique
globale et transversale d'égalité f/h, autour de plusieurs axes :
1) Mutualiser les forces
Le premier axe a consisté à fédérer les énergies
et les expertises au sein d'un Conseil
pour l'égalité entre les femmes et les hommes en Bretagne (CpeG). Ce
conseil regroupe aujourd'hui plus de 700 membres, issu·e·s des mondes
économique, politique et social, de la formation, des associations, des
institutions, des cabinets d’expertise, de la recherche, etc. Le CpeG
représente la société civile bretonne se mobilisant pour l'égalité. Il
travaille sur des thématiques variées telles que la lutte contre les violences,
l'emploi des femmes, la parité, les femmes migrantes, les politiques publiques,
etc. Tous les deux ans, il prépare la Biennale
de l’égalité. Cet évènement pour tou·te·s rassemble, sur deux jours, les acteurs et actrices
de l’égalité f/h de Bretagne et d’ailleurs, et met en lumière leur travail au
quotidien.
2) Sensibiliser et former
Le second axe est celui de la sensibilisation et de la formation des agent-e-s
de la Région à
l'égalité des droits f/h. Il est la colonne vertébrale de la politique égalité.
Comme point de départ, l'ensemble des compétences du Conseil régional a été
interrogée sous l'angle du genre.
Sensibiliser
et former à l'égalité, c’est permettre à chacun·e
de s’emparer de ces questions et agir en conséquence. Pour commencer, c’est
revenir sur la réalité statistique des inégalités pour mieux les identifier,
évoquer les rapports de domination, les stéréotypes sexistes, etc.
L'approche sexuée de nos statistiques dans le domaine
des transports nous a permis, par exemple, de remarquer que les bretonnes
utilisent davantage les trains express régionaux que les bretons. L'explication
est simple : lorsqu’un couple f/h possède une voiture, c'est majoritairement
l'homme qui en dispose. La femme utilise alors plus fréquemment les transports
en commun. Cette constatation nous a amené, après étude, à modifier et adapter
les horaires des trains en fonction des besoins de ces femmes.
Un autre exemple de déclinaison du genre dans la
politique régionale au travers de l'enjeu du développement économique est
le suivi des licencié·e·s du Groupe DOUX. Il
y a 2 ans, la Bretagne
a connu de fortes difficultés dans le domaine de l'agroalimentaire, première
industrie bretonne. Face aux centaines de licenciements, la Région a souhaité apporter son
soutien. En introduisant une approche
genrée dans le processus de reclassement, nous avons découvert que parmi
les 400 salarié·e·s licencié·e·s en 2013, 66 %
étaient des femmes.
Nous avons alors engagé une double démarche : tenir compte de leur situation professionnelle mais aussi de leur situation personnelle en tant que femmes. Beaucoup d’entre elles doivent concilier leur recherche d’emploi avec des contraintes telles que la garde d'enfants, la responsabilité de parents âgés, l’absence de véhicule pour se déplacer, etc. Nous avons tenu compte de tout ce qui fait leur quotidien afin de lever les obstacles et résistances propres à leur genre face à de nouvelles perspectives d’emploi.
Nous avons également travaillé avec elles pour élargir le cercle de leurs possibles en matière d'emploi. Traditionnellement, il leur est proposé un reclassement dans le même secteur d'activité (agroalimentaire) ou vers des emplois traditionnellement féminins (employé·e de caisse, services à la personne, etc.). Nous leur avons présenté des métiers et secteurs d'activité différents, où les perspectives d'emploi sont meilleures, tels que le tourisme, la logistique, l'agriculture, etc.
Du début à la fin, nous avons associé à cette démarche
tou·te·s les acteurs et
actrices du territoire concerné·e·s : les collectivités locales, les acteurs et actrices
du reclassement, les entreprises privées, etc.
Notre principal défi, à présent, est de développer une approche intégrée de l'égalité. L'idée est d’aller au-delà de l’engagement personnel de certain·e·s élu·e·s, agent·e·s et citoyen·ne·s. Il s’agit à présent d’ancrer l’égalité de façon pérenne dans chacune des compétences de la Région : dans chaque budget, dans chaque décision, dans chaque comportement.
Quand le privé devient politique
Les violences exercées à l'encontre des femmes constituent une résultante
intolérable des inégalités f/h. C'est peut-être la plus difficile à gérer, tant
il est révoltant au XXIème siècle de devoir encore la combattre, tant elle
touche à l'intime. Elle relève le plus souvent de la sphère privée, mais c’est
toute la société qui est touchée. La politique se doit de dénoncer
l'inacceptable.
C'est
au nom de cette responsabilité politique que la région Bretagne s'est engagée
dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Après une enquête
qualitative sur l'ensemble de la région en 2007, nous avons choisi d’intervenir
en priorité auprès des entreprises et des jeunes.
Nous
avons notamment monté le dispositif Karta, qui permet aux lycéen·ne·s de Bretagne de
porter des projets autour du respect filles/garçons, de la lutte contre les
violences ou encore de l'orientation sexuelle. Aujourd'hui, ce sont, chaque
année, plus de 120 projets portés par les jeunes et soutenus financièrement par
la Région.
A suivre...
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